18
— Ben !
La voix de Mara fut si forte et si perçante que Luke faillit presque lâcher les pinces soudeuses qu’il tenait à la main dans le compartiment répartiteur de données de R2-D2.
— Ben, viens me voir à la cuisine sur-le-champ !
— Euh. Cela ne me semble pas être une super bonne idée, fit Luke à travers l’unité com. (Il souleva ses pinces soudeuses et regarda de l’autre côté de l’atelier, où Ben était assis, entouré de caisses et de tiges d’écartement, recouvert d’un lubrifiant de servomoteur des pieds à la tête.) Du moins, pas avant un nettoyage complet. Il est à l’atelier.
— Et peut-on savoir ce qu’il y fait ? demanda Mara.
Luke jeta un œil à Ben et lui indiqua l’unité com murale :
— Je bosse sur mon Killik, répondit Ben, docilement. (Il avait l’air à la fois coupable et inquiet.) Nanna a dit que je pouvais.
— Reste où tu es !
— Elle a l’air en pétard, dit Luke en haussant les sourcils.
— On dirait bien, en effet, répondit Ben dans un hochement de tête.
— Tu sais pourquoi ?
Ben se tourna vers son droïd « Killik ».
— Peut-être.
Persuadé que Mara et son fils allaient bien finir par élucider les causes de leur brouille, Luke retourna étudier le secteur isolé qu’il venait de dénicher dans l’une des puces mémorielles de R2-D2. A en juger par l’aspect terni de la fissure sur le circuit, l’erreur était apparue bien des années plus tôt. Luke se demanda combien de temps s’était écoulé avant que le secteur n’indique l’anomalie.
La trappe d’accès coulissa et Mara fit son apparition, tenant une boîte vide de viande en gelée à la main. La brusquerie de ses gestes trahissait son irritation – tout comme l’aura turbulente qu’elle projetait à l’intérieur de la Force.
— Attends une seconde, R2, dit Luke, en posant les pinces soudeuses sur l’établi. Ça m’a l’air sérieux.
Le droïd bipa, apparemment mécontent.
— Bien évidemment que tu es important, ajouta Luke. Mais je dois faire une pause, de toute façon.
Luke se dirigea vers sa femme et son fils. Ben était toujours assis à l’intérieur de sa cabane improvisée, les yeux rivés sur Mara.
— Es-ce que Nanna t’a autorisé à t’enquiller une boîte entière de viande en gelée, jeune homme ? demanda Mara.
— Elle m’a dit que je pouvais en prendre un peu.
— C’est ça, un peu, pour toi ? dit-elle en lui tendant la boîte vide.
— Je croyais qu’elle voulait dire une boîte de conserve entière.
— C’est Nanna qui a trouvé le caisson rempli de viande en gelée, dit Mara en lui tendant la conserve. Elle m’a aussi dit qu’il était presque vide depuis notre départ de Jwlio. Et je doute que quelqu’un d’autre puisse manger un truc pareil.
— Tesar, peut-être.
— De la viande en gelée ? demanda Mara, d’un air sceptique.
— Pourquoi pas ? répondit Ben, plein d’espoir. Il mange n’importe quoi.
— N’importe quoi de vivant, le corrigea Mara. Mais on peut éventuellement lui demander. Qu’est-ce que je fais, je l’appelle ?
Ben hésita un instant, puis secoua la tête.
— Non.
— C’est bien ce que je pensais. (La voix de Mara s’adoucit.) Ben, je ne sais pas comment tu as pu manger tout ça sans te faire remarquer, mais tu dois cesser. Ce truc-là va te rendre malade.
— T’en fais pas, maman, fit Ben, apparemment soulagé. Ce n’est pas moi qui l’ai mangé.
— Ce n’est pas toi ? demanda Mara. C’est qui alors ?
— Mon Killik.
— Ben, ne t’ai-je pas déjà dit de ne pas me mentir ?
Le petit garçon baissa les yeux.
— Si. Et que si je mens, je serai obligé de rester avec Kam et Tionne la prochaine fois que Papa et toi partirez en mission.
— Exact, dit Mara. Ne l’oublie pas.
— OK, fit Ben. Je ne l’oublierai pas.
— Parfait. (Mara se baissa et saisit la boîte vide.) Et plus de viande en gelée non plus.
Ben fit les yeux ronds.
— Plus du tout ?
— Pas avant qu’on soit rentrés à la maison. (Luke voulut prendre un ton sévère.) Il t’en reste encore pour dix expéditions.
Tandis qu’il l’accompagnait à la salle des moteurs, Luke perçut toujours de l’irritation chez sa femme.
— Ce n’était pas qu’une histoire de viande en gelée, n’est-ce pas ? demanda-t-il gentiment. Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu es fatiguée d’entendre Tahiri et les autres répéter à longueur de journée qu’ils regrettent Jwlio ?
— Ça n’a rien à voir avec ça, répondit Mara.
— Fatiguée d’entendre râler l’Ewok, alors ?
— Ce n’est pas Tarfang non plus, dit Mara. Je n’arrive pas à savoir si les Killik sont nos ennemis ou juste de dangereux amis, mais je suis convaincue qu’il faut qu’on en sache un peu plus sur eux.
Luke ne dit rien, attendant qu’elle précise sa pensée.
— C’est juste cette sensation de malaise qui m’oppresse, reprit Mara. Je suis persuadée qu’on va encore se faire attaquer.
Luke s’immobilisa et s’ouvrit à la Force.
— Je peux le sentir également. Mais pas de manière aussi forte que toi. On pourrait peut-être faire un nouveau scan pour savoir s’il n’y a pas un passager clandestin à bord.
— Pour la septième fois ? (Mara secoua la tête en souriant.) Retourne à ton droïd, Skywalker. Tu essaies de m’entraîner dans ta cabine.
— Je suis si prévisible que ça ? demanda Luke. Non, plus sérieusement. Fais bien attention à cette sensation. Quelle qu’en soit la cause, il me semble que tu as un lien spécifique avec elle.
— J’en ai de la chance. (Mara ouvrit la vanne d’accès et regarda par-dessus son épaule.) Et à propos de la cabine…
— Ouais ?
— Peut-être plus tard. Si tu es sage.
R2-D2 se manifesta par un roucoulement électronique.
— Ne t’inquiète pas, gloussa Luke. Je suis un Maître Jedi. Je sais rester concentré en toute situation.
Il ramassa ses outils et répara minutieusement la fissure sur la puce mémorielle du droïd. Une fois que le fer à souder fut suffisamment froid, il retira son masque protecteur et jeta un œil sur l’écran de diagnostic, au-dessus de l’établi.
— Très bien, R2. Voyons un peu ce que nous dit ta puce mémorielle.
Une liste d’en-têtes de section et de chiffres commença à défiler sur l’écran, avant de s’arrêter brusquement.
— Ne t’arrête pas, fit Luke. Je dois savoir si tu peux accéder à ce secteur.
R2-D2 gazouilla quelques instants, puis les données se remirent à défiler. Le numéro du secteur manquant apparut, mais l’en-tête de section n’était composé que de nombres aléatoires.
— Vas-y, arrête-toi.
Les données défilèrent jusqu’à ce que l’en-tête disparaisse en haut de l’écran, puis elles se figèrent.
— Maintenant, c’est ton temps de réaction qui est ralenti, se plaignit Luke. Refais-le défiler.
R2-D2 bipa une question.
— Le secteur que j’ai essayé de réparer. Donnée 222.
La liste de chiffres envahit l’écran une nouvelle fois.
— C’est pas vrai ! Tu as aussi des soucis de roulement ! soupira Luke. On dirait bien que ton système a un pépin. Je vais peut-être devoir le passer au magnétiseur de bandes.
L’en-tête apparut sur le milieu de l’écran. Une lettre qui en modifiait une autre à chaque rangée de données.
— Stop ! Pourquoi diable est-ce que tu randomises ?
Dans un vrombissement, le droïd lui certifia qu’il n’avait rien fait de tel.
— Je t’assure, R-2, dit Luke. Les lettres se modifient sous mes yeux.
R2-D2 vibra un instant, puis transféra un message sur l’écran de diagnostic.
Ça doit être codé.
— Codé ? (Luke commença à se demander si le secteur n’avait pas été isolé volontairement.) Dans ce cas, trouve le code.
R2-D2 grésilla une objection.
— R2, dois-je te rappeler que tu es un droïd astromécanicien ? s’exclama Luke. Tu disposes d’assez de puissance pour berner un randomisateur à deux codes et trois clés. Je crois même que tu peux me dénicher un simple code de substitution.
R2-D2 émit une affirmative et se mit à biper. Quelques secondes plus tard, toutes les données disparurent de l’écran. Luke attendit qu’elles recouvrent une forme lisible, avant d’abandonner en grognant.
— Ne me dis pas que tu les as perdues.
R2 s’excusa en grésillant.
— OK, OK. C’est pas grave, répondit Luke, à deux doigts de perdre son sang-froid. (Il rabaissa son masque protecteur.) Je le fais juste fusionner avec un secteur qui n’est pas dans le programme central.
R2-D2 fit apparaître son bras de liaison hors de l’interface de connexion et protesta en sifflant.
— Alors, fais réapparaître les données, dit Luke. Il faut que je sache ce qui se cache dans ce secteur.
Le droïd gazouilla une question.
— Celui-ci, pour être plus précis.
Luke pointa le feu de son fer à souder sur le secteur 222 et fut surpris d’entendre une petite voix de femme surgir du haut-parleur du droïd.
— Anakin…
Luke saisit une lampe de poche sur l’établi. Il releva son masque protecteur, dans l’espoir de voir quelques images de Tahiri et de son défunt neveu, Anakin, partageant un moment ensemble.
Mais à la place, Luke se retrouva en train de contempler une magnifique jeune femme aux yeux marron, à peine plus grande que sa main. Une jeune femme qu’il ne fut pas en mesure de reconnaître. Elle marcha le long de l’établi puis stoppa le pas près d’un jeune homme robuste vêtu, comme elle, de vêtements de nuit.
— Raconte-moi ce qui te tourmente, demanda-t-elle.
Le jeune homme avait les yeux dans le vague.
— Ce n’est rien.
— Anakin, quand serons-nous enfin francs l’un envers l’autre ?
Le cœur de Luke faillit lui exploser dans la poitrine. Il n’avait pas tout de suite reconnu son père. Il voulait appeler Mara, et partager ce moment avec Leia… mais il était trop abasourdi. Il se contenta de continuer à regarder.
Le jeune homme – Anakin – se tourna vers la jeune femme.
— J’ai fait un rêve.
— Un cauchemar ?
Anakin regarda au loin.
— Comme celui que j’ai fait à propos de ma mère… juste avant qu’elle ne s’éteigne.
La jeune femme hésita puis demanda :
— Et ?
Anakin baissa les yeux.
— C’était un rêve à propos de toi…
L’hologramme grésilla et disparut d’un coup. Un bourdonnement de mauvais augure se fit entendre en provenance des circuits internes du droïd. Luke rabaissa son masque protecteur et scruta l’enchevêtrement de puces et de câbles à l’aide du fer à souder, direction le secteur 222.
— R2 ! (Luke atteignit le rupteur du circuit primaire.) Attends !
La tête d’enregistrement s’arrêta de tourner, mais Luke ne retira pas le fer à souder.
— Qu’est-ce que tu es en train de faire, bon sang ?
Le droïd réinséra son bras de liaison dans l’interface de connexion et, tout en soudant, Luke, releva son masque protecteur pour lire les messages qui commençaient à défiler sur son écran de diagnostic.
J’ai besoin de reformater le secteur 222. Ces données sont vérolées.
— Tu veux mon avis ? Il n’y a rien de vérolé. (Luke n’arrivait pas à saisir pourquoi R2-D2 cherchait désespérément à lui cacher le contenu du secteur 222.) Qui était cette femme aux côtés de mon père ?
R2-D2 gazouilla deux remarques.
— La femme dans l’hologramme, fit Luke, apparemment agacé. Remontre-la-moi.
Le holoprojecteur de R2-D2 réapparut, dévoilant l’image en trois dimensions d’une Princesse vêtue d’une élégante robe blanche.
— Aidez-moi, Obi-Wan Kenobi, dit la silhouette. Vous êtes mon seul espoir.
— Pas cette femme-là, fit Luke. Je connais ma sœur. Celle qui parlait à Anakin. Est-ce… est-ce que c’est ma mère ?
Un nouveau message apparut sur l’écran de diagnostic.
Je ne sais pas de quelle femme vous voulez parler. Ce secteur est défectueux. Il devrait être isolé.
— Il était isolé. Et sûrement volontairement.
Luke observa attentivement R2-D2, essayant de l’atteindre à travers la Force et, au bout de quelques instants, sut enfin quelles questions lui poser.
— J’ai eu comme l’impression qu’ils ne savaient pas que tu les holo-enregistraient. Tu les espionnais ou quoi ?
R2-D2 laissa échapper un crissement qui ressemblait fort à une réponse négative – avant qu’il ne se transforme en un terrible sifflement et que quelques éclairs d’électricité ne viennent désactiver le fer à souder que Luke dirigeait toujours sur le secteur 222. Il libéra le câble et commença à réprimander le droïd. Mais une bouffée d’épaisse fumée émergea du panneau d’accès. Luke utilisa la Force pour faire sauter le rupteur de circuit primaire, et ouvrit un second panneau d’accès pour ventiler l’intérieur de son armature.
Lorsque la fumée devint moins épaisse, il rabaissa son masque protecteur pour s’apercevoir que tous les circuits situés à un millimètre du secteur 222 avaient littéralement fondu. Pire encore, une partie du secteur avait également été soudée. Luke ôta son masque et le projeta violemment contre le mur.
— Satané fer à souder ! (Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’une entité non identifiée avait personnellement veillé à ce qu’il ne devine pas l’identité de sa mère. Celui ou celle qui avait trafiqué le logiciel espion de R2-D2 avait ses raisons propres. Des raisons probablement essentielles il y a cinquante ans, mais totalement obsolètes aujourd’hui.) Satanée histoire !
— Papa ? demanda soudain le petit Ben. Qu’est-ce que ça veut dire satané ?
Luke se tourna et tomba nez à nez avec son fils, tout étonné d’avoir assisté à l’un des si rares mouvements de colère de son père.
— Rien… Juste un mot pas beau, dit Luke, en se calmant. (Avec un peu de chance – et le matériel approprié – la puce mémorielle pourrait être réparée et le code dérivé. Les choses n’étaient jamais aussi terribles qu’elles en avaient l’air.) Ta maman n’aimerait pas que je le prononce devant toi.
— T’inquiète, je lui dirai rien. (Ben lui adressa un petit sourire innocent.) Dis papa, tu crois que je peux emprunter un tube de pâte de nerf ?